Phénomène d’ampleur ô combien médiatisé suite à la loi El Khomri, Nuit Debout semble être un mouvement populaire porteur d’espoir pour bien des gens. Bien que j’ai moi même l’âme militante et citoyenne, je n’y crois pourtant définitivement pas.
Vu de loin, Nuit Debout semble être le nom d’un nouvel espoir, de la concrétisation du changement, des prémices d’un grand soir. Mais pour bien des raisons, plus j’observe ce mouvement et plus j’y vois un immense brassage de vent. Avec sans doute les meilleures intentions du monde – et encore, pas toujours – mais surtout avec la cristallisation de sentiments parmi les plus négatifs. Tout ça au mépris du changement en marche silencieusement depuis des années, en marge de ces rassemblements.
Gaz lacrymogènes et coups de matraque pourraient laisser croire aux manifestants qu’ils ont raison de faire ce qu’ils font. A entrer en résistance, ils sont accueillis comme de dangereux individus dont le tonfa du CRS est là pour tasser la colère au fond de la gorge, comme le ferait Rocco Sifredi avec son outil de travail à une collègue. Les abus de pouvoir commis par les forces de l’ordre pourraient nous faire prendre partie pour les opprimés. Mais si rien ne justifie la violence, il faut distinguer les méthodes de répression de la lutte, distinguer les revendications de la façon dont celles-ci sont traitées.
Aussi, avec toute la compassion que je peux avoir pour ces personnes qui vont chaque jour au charbon (se faire) battre le pavé, non seulement je ne crois pas en Nuit Debout, mais de surcroît je ne l’approuve pas. Et pourtant, je pense qu’en matière d’engagement citoyen je ne suis pas en reste.
La cristallisation des rancœurs
Il suffit de regarder Twitter ou quelques médias pour se rendre compte que ce n’est pas un mouvement démocratique qui prend forme. La liberté d’expression n’y a pas sa place, puisqu’un tri est fait par les manifestants eux-même de qui à le droit de participer ou non à ce mouvement. Je pense bien évidemment au cas de Finkielkraut, qui en dépit de tout ce qu’on peut lui reprocher avait toute sa place à un rassemblement populaire. Et après on va s’étonner qu’il critique le mouvement ? Soyons sérieux… L’égalité n’est pas non plus au rendez-vous, hommes et femmes ne pouvant discuter de certains sujets sur un pied d’équité. En effet, il semblerait que seules les femmes ont d’abord voix au chapitre en matière de féminisme. Bien que je ne défende pas cette cause, si chacun commence à parler uniquement de ce qu’il connait, alors plus personne ne parle de quoique ce soit (et surtout pas de politique ou de religion). Il est inutile de revenir sur les dégradations, trop nombreuses pour être simplement l’œuvre de quelques flics déguisés en casseurs. Enfin, il suffit d’écouter les propos de Frédéric Lordon pour ne plus douter du caractère nuisible que le mouvement peut prendre.
La violence des antifas… On parle donc bien de ces mêmes antifas pour qui toute opinion différente est apparentée à du fascisme ? Ces antifas qui ont donc eux-même un comportement fasciste ? Les modérés étant non violents, il n’y a alors pas de doute à avoir : M. Lordon et une partie des siens cautionnent que la violence d’un groupe mené par une idéologie aveugle sert leur cause. Pire encore, ils ne viennent pas en paix ! Mais quel changement positif peut reposer sur la violence ? Sur quoi souhaitons nous continuer à construire la société de demain ?
En passant, il est de bon ton de rappeler que M. Lordon sort des hautes écoles de l’État, dont certaines ne sont pas sans connexion avec des associations dont sont aussi membres quelques uns de nos ministres.
Enfin, ce qui me fait peur c’est que Nuit Debout attire à ce jour des personnes qui n’étaient encore jamais allées en manifestation, il faut au moins lui reconnaitre ça. Nuit Debout rassemble des râles et des colères qui jusque là restaient isolés. Toutefois, se sont surtout les plus aguerris à la prise de parole en public qui tireront leur épingle du jeu et les nouveaux arrivant suivront le mouvement.
Toujours les mêmes
Autre point qui vient étayer mon pessimisme à l’égard de ce mouvement : s’il y a une chose que j’ai constaté avec l’expérience et à de nombreuses reprises, c’est que dans la plupart des initiatives et associations ce seront toujours les mêmes qui bossent tandis que les autres regardent. Souvent épuisant, ça fini alors en eau de boudin sans avoir pu aller jusqu’au bout. Et quand bien même ça ne serait pas le cas – car Dieu merci ce n’est pas une généralité – à moins de définir un leader et une méthodologie de travaille précise, chose difficile dans ce type de mouvement, il ne se passe rien sur le long terme.
Loin de moi l’intention d’être oiseau de mauvaise augure : j’espère très sincèrement avoir tort, que Nuit Debout amorce un changement réel et durable ! Car après tout, peu importe qui porte ce changement positif, tant que ce dernier survient. Mais très honnêtement, je n’y crois pas un instant.
Le changement est déjà là
Car oui, en silence, il est là, depuis des générations, des millénaires même ! C’est comme ça qu’ont évolué les époques, par des hommes et des femmes qui ont eu des idées pour faire avancer les choses. C’est la marche du monde, tout simplement, avec ses hauts et ses bas. Bon nombre d’initiatives existent et elles sont particulièrement encourageantes sur la vision que nous pouvons avoir – et partager – du monde de demain. Le changement ne peut passer que par la réflexion, la planification et surtout par l’exemple. Ce n’est qu’ainsi qu’on pourra durablement instaurer quelque chose de différent.
Mais j’entends déjà des voix s’élever et dire « Tous les politiques nous ont déçu ». Et bien engagez-vous, nom d’un chien ! Si vous en avez marre, après-tout ? A Strasbourg, un candidat aux législatives a récemment été tiré au sort pour parler au nom de la frange de la population qui ne se sent pas représentée. Et je vais vous contredire : non, tous les politiques ne vous ont pas déçu. Le peuple français joue au même jeu de ping-pong gauche-droite depuis 40 ans, sans regarder les alternatives qui existent. Bien évidemment, je pense au centre en disant cela. Mais il y en a d’autres également, comme les verts.
Pour aller où ?
Mais admettons que ce mouvement parviennent à survire aux mois à venir. Ou le mouvement se structure et est obligé d’avoir un leader ou un représentant. Et quand bien même le tirage au sort nommerait ce dernier, il s’en trouvera toujours un pour récupérer le mouvement. Ou, et c’est plus probable, cela passera pas plusieurs initiatives citoyennes isolées les unes des autres. Certaines fonctionneront, d’autres non. Et finalement on repartira plus ou moins comme avant, si ce n’est que le changement, le vrai, celui qui prend du temps et qui ne se voit pas instantanément, sera toujours en marche. Donc en somme, ou Nuit Debout rentre dans le moule (ce qui serait totalement stupide, j’en conviens) ou elle éclate en de nombreux petits changements positifs qui vont prendre racine ici et là. Pas de grand soir à l’horizon.
Comment se fait-il que les gens se réveillent maintenant ? Où sont-ils quand les associations citoyennes tentent tant bien que mal de faire avancer le schmilblick depuis des lustres ? Où sont-ils quand on a besoin d’une paire de bras, d’un avis, d’un don, pour permettre à un projet d’avancer ? Oh, une grande part est là aujourd’hui, je le vois bien. Mais sans vouloir faire de généralité, je trouve un peu facile de s’étaler sur la place public quand tant de mouvements citoyens existants qui créent déjà l’alternative peinent à trouver des bénévoles. C’est pourquoi je crois que cet engagement ne sera qu’éphémère pour la grande majorité des participants. Mais ce n’est pas grave, car de bonnes choses en seront sorties et ça aura très certainement réveillé quelques vocations.
Nuit debout, aube cadavérique
Bien évidemment, les différents profils de manifestants que j’ai dépeint ne représentent pas l’intégralité de Nuit Debout. Je sais, pour en connaître, que parmi eux il y a des gens plein de ressources, animés par l’amour de leur prochain et la volonté de transmettre leur goût du changement. Mais ce changement, j’y crois profondément, ne peut d’après moi passer que par l’exemple et la prise de conscience. Il n’y aura pas de grand soir et toute révolution brève ne peut déboucher que sur un système qui opprimera à nouveau des faibles au profit des plus forts. Les cartes seront peut-être distribuées différemment, mais peu de choses bonnes s’accomplissent en politique avec des sursauts populaires, les Printemps Arabes en sont un exemple concret. Et ne venez pas me parler de 1789 !
Une fois la nuit passée, que restera-t-il au petit matin ? On le voit, les seuls qui semblent capables d’emmener ce mouvement plus loin sont les bons orateurs aux opinions médiocres. Nuit Debout attire déjà des parasites, comme un animal mort attire une charogne. Sauf que dans le cas présent, l’animal n’est pas encore mort et les charognes sont déjà là. Mais de toutes façons, l’Euro de Football approchant, gageons que l’appel du canapé mettra un point final à tout ça. Malheureusement ou non, chacun jugera.
« Je crois que ce sont les petites choses, les gestes quotidiens des gens ordinaires qui nous préservent du mal… de simples actes de bonté et d’amour ! » – Gandalf le gris (et toc !)