« Nous trois ou rien » : un chef d’œuvre nous rappelant que l’avenir est un long passé

Par , Le 12 novembre 2015 (Temps de lecture estimé : 7 min)

Dimanche soir dernier, nous sommes allés moi et ma femme au cinéma voir le film « Nous trois ou rien ». Une histoire vraie, mise en scène avec humour sans rien enlever au drame vécu, et illustrant ce qu’est la lutte pour ses valeurs, sa famille, puis la citoyenneté.

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La bande annonce supposait un bon film, traitant avec humour d’une dure réalité : l’exil politique. Avant même d’aller voir ce film, je percevais déjà, dans la bande annonce, des éléments me rappelant Intouchable. Dans les deux cas, il s’agit d’un sujet peu évident et d’une confrontation des milieux sociaux-culturels. Plus une bonne dose de bons sentiments et d’humour pour aider « la médecine à couler », comme le dirait Mary Poppins. Mais à cela vient s’ajouter un problème d’actualité : l’immigration en Europe des réfugiés politiques. Des personnes qui ont tout laissé derrière elles pour fuire l’horreur. Sans tomber dans la fable sociale, le film nous délivre étape par étape des messages forts qui nous invitent, français, à réfléchir sur notre citoyenneté et à prendre conscience de la chance que nous avons que d’être des privilégiés. Spoilers garantis, alors si vous comptez voir le film prochainement, revenez plus tard

Synopsis

Le film narre l’histoire vraie de Hibat Tabib, jeune avocat iranien, et de sa femme, Fereshteh Tabib. Ces personnages forts du film sont d’autant plus crédibles que le rôle de Hibat est endossé par leur propre fils, Kheiron qui est aussi le réalisateur du film, tandis que Fereshteh est jouée par Leïla Bekhti. Cette dernière s’est d’ailleurs distinguée, entre autres, dans l’excellent La Source des femmes de Radu Mihaileanu.

Tous deux militants pour la démocratie, ils luttent contre le régime du Shah d’Iran, caricaturé par Alexandre Astier, puis celui de l’ayatollah Rouhollah Khomeini. Ils sont alors contraints de fuire leur pays en 1984. Le film raconte leur vie, en commençant par la jeunesse militante de Hibat, son séjour en prison où il fut torturé, la rencontre de Fereshteh, la naissance de leur fils, jusqu’à leur arrivée en Seine-Saint-Denis où ils s’impliqueront énormément dans la vie locale.

Une immersion chez les cousins

D’entrée de jeu, le film sait nous emmener dans son univers et l’émotion aidant, nous fait nous sentir tout de suite concernés par la cause des personnages. L’histoire est relatée par Hibat, avec la voix de Kheiron. Il commence par nous présenter son enfance, son quotidien. Bien que ça passe il y a quelques décennies, ce n’est pas si différent de nos campagnes à la même époque. Évidemment, quelques différences culturelles sont là, mais Kheiron parvient à nous plonger directement dans le quotidien de ses parents. Avec beaucoup de naturel, ce long métrage nous présente notre propre reflet. Une vie normal, dans une petite ville normale : ça pourrait être nous, jusqu’à ce qu’un certain régime vienne tout compromettre. Puis Hibat grandissant, les idéaux se grandissent eux aussi.

La case prison

A mes yeux, il s’agit du moment le plus lourd du film et le plus important. C’est sans doute pour cette raison qu’il est rythmé avec beaucoup d’humour. J’imagine que ça a pu être éprouvant pour Kheiron d’endosser le rôle de son père au cours de ces scènes. Car si les répliques sont hilarantes, voir Hibat se faire tabasser presque à mort est rude, et on passe du rire au larmes assez facilement. Ce passage de la prison nous montre la force intérieure de Hibat Tabib, sans pour autant le déifier ou en faire un guerrier. Car tandis que la torture transforme probablement n’importe quel homme, le jeune avocat semble rester le même et conserver sa simplicité et sa gentillesse en sortant de cette épreuve. J’en viendrai presque à penser que cela a pu être une force pour lui par la suite. Ayant traversé ça, il donne l’impression de pouvoir de se confronter aux montagnes.

Et ils vécurent heureux avant de s’exiler

Sorti de prison, Hibat rencontre Fereshteh avec qui il se marie et a un enfant. Le Shah finit par être renversé pour être remplacé par l’ayatollah Rouhollah Khomeini. Et là ce n’est pas un acteur qui reprend le rôle de l’ayatollah avec humour, mais des images d’archives qui sont utilisées et nous font l’effet d’une douche froide. Sous couvert d’un discours racoleur à grand coup de pseudo-défense de la démocratie, ce dernier finit par prendre le pouvoir. Et là, on commence à regretter le Shah. Il explique alors que le peuple peut bien aller se faire voir, il s’agit en réalité de mettre en place un Islam radical. Grosso-modo. Ca ne vous rappelle rien ? Pour ma part, j’ai très rapidement fait un parallèle avec les partis politiques qui, sous couvert de défense de valeurs républicaines, cherchent en réalité presque tous à imposer leur avis.

Une leçon de citoyenneté

Le passage de l’exil est si intense que j’ai retenu mon souffle pendant une longue minute. Finalement, après quelques péripéties et quelques jours de marche, les parents de Kheiron, leur petit faisant parti du voyage, finissent par arriver en Turquie avant de débouler en France. Et là, c’est une vraie leçon de citoyenneté que Hibat et Fereshteh nous donne.

Car sur place, ils y découvrent la violence gratuite des cités. Ils idéalisaient un pays des droits de l’homme, et ils découvrent un état où la vie, comme ailleurs, est un combat quotidien. Après avoir passé la barrière de la langue, après que Hibat ai repassé un diplôme grâce à sa femme et s’être impliqué localement, il se voit proposé par le maire de Pierrefitte de diriger un centre social. Une fois à la tête de ce centre social, il va s’agir de de donner vie au quartier, d’aider ses habitants aux origines multiples à s’intégrer, et surtout leur permettre de se comprendre et de vivre ensemble.

Si je détaille autant l’histoire du film, c’est pour donner le contexte dans lequel ça se passe : tandis que leur pays est rongé par la haine, et malgré ce qu’ils ont traversé, Fereshteh et Hibat continuent de donner d’eux-même pour les autres. Dans le pays des droits de l’homme, ils sont les piliers de l’action sociale et de la citoyenneté de tout un quartier. Face à des habitants totalement désarçonnées et perdus dans leurs vies respectives, ils font preuve de générosité à l’égard d’autrui. Bien qu’iraniens, ils sont chez eux, car ils se sont intégrés et ont largement participé à construire la vie de cet espace dans lequel ils ont débarqués quelques années plus tôt. Ce film joue avec notre yoyo émotionnel, tout en nous présentant dans une grande simplicité ce que sont des héros du quotidien : des gens qui avaient tout laissé derrière eux, mais qui ont su garder l’essentiel dans le cœur et dans la tête.

En conclusion

Je ne reviendrai pas sur la performance que Kheiron a réalisé avec ce superbe hommage à ses parents, plusieurs sites le font très bien. Je souhaite plutôt faire un parallèle avec notre pays : bien qu’il y ai clairement une police politique qui se met petit à petit en place, nous ne sommes pas torturés et nous ne sommes pas non plus enfermés pour avoir collé une affiche. Pour autant, les gens râlent, critiquent, mais le font essentiellement depuis le bar ou leur canapé. Et c’est là une des grande différence avec d’autre pays : en 2015, râler au comptoir du PMU du coin n’est pas encore interdit.

Pourtant, que ce soit à travers mon action à la Jeune Chambre Économique ou mon implication en politique, j’observe une vraie démobilisation citoyenne. Le monde peut bien crever, la plupart des gens semblent s’en taper royalement tant que ça ne se passe pas devant leur porte. L’avenir est un long passé disait la chanson de Manau. Il est pourtant grand temps de comprendre que le salut collectif et le salut personnel sont indissociables, et ceci à une dimension plus que nationale. Pour information, Hibab Tabib reçut en 2013 une récompense pour avoir été un citoyen et un héro du quotidien : la légion d’honneur.

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René DROUIN

Auteur d'anticipation, blogueur et créatif touche-à-tout, catho tradi, entrepreneur, THPI. Chasseur de woke et de droitard formolé à mes heures perdues. Mi-ours, mi-panda et re-mi-ours derrière.

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