Fiche de lecture : le pardon, par Dieu, pour les autres, mais aussi pour soi

Par , Le 18 décembre 2017 (Temps de lecture estimé : 11 min)

Au cours des journées de formation en théologie auxquelles j’assiste chaque mois, on nous a donné à lire un livre de notre choix parmi une sélection. Suite à cette lecture, on avait pour consigne de rédiger une fiche de lecture. Autant vous dire que c’est pas gagné.

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Certains lecteurs le savent, chaque mois j’assiste à une journée de formation d’un programme de formation organisée par mon diocèse et qui s’appelle « Venez à ma suite ». Ce programme, qui s’étale sur deux ans au travers de vingt journées, a pour but de nous faire développer une compétence pluridisciplinaire en nous apportant des notions bibliques, théologiques, liturgiques, anthropologiques, historiques, pastoraux et j’en passe. C’est absolument passionnant pour moi !

À l’issue de ces deux années, on a la possibilité de passer un certificat d’étude théologique, délivré par l’Université Catholique de l’Ouest. Si au départ j’étais assez enjoué à cette idée, je me suis rendu compte de la raison qui fait que mon seul diplôme est un BEP (et oui !). J’ai un problème : je suis dans l’incapacité la plus complète de réaliser quelque chose qui ne fait pas sens pour moi. Non seulement ça me les brise menu, mais je fais tout simplement un blocage. C’est en grande partie lié au fait d’être haut potentiel intellectuel (je n’ai pas encore écrit mon article à ce sujet, ça va venir) : en tant que tel qui m’a été diagnostiqué qu’à l’âge adulte, la conception de l’effort pour produire quelque chose, si ça ne fait pas sens, m’est inconnue. Dans le cas contraire, quand ça fait sens, non seulement le haut potentiel ne le vit pas comme un effort, mais il peut alors abattre des montagnes. C’est souvent un paradoxe pour les gens, ce n’est nullement une excuse, mais ça expliquera à mon correcteur la forme que j’ai donné à ma restitution.

Bref, pour faire simple : je serai peut-être hors sujet pour cette fiche de lecture et tant pis. Restituer ce que j’ai compris sous la forme attendue ne me parle pas. Mais l’idée de ne rien rendre me travaillait profondément et je ne voulais pas ne rien écrire au sujet de ma lecture, sous prétexte que je suis un fumiste de première classe. Aussi est-ce l’article que vous êtes en train de lire, tel qu’il est, qui va finir dans les mains de mon correcteur, introduction incluse (c’est pour cette raison que je fais un peu plus attention à mon vocabulaire).

Introduction (la vraie cette fois)

La lecture que j’ai choisie avait été annoncée comme relativement compliquée. Il s’agit du livre « Souffrance, bonheur, éthique, conférences spirituelles », qui a été écrit par Xavier Thévenot, aux éditions Salvator, Bar le Duc, paru en 1990. Ce fut une véritable nourriture intellectuelle et spirituelle !

Xavier Thévenot, né en 1938 et mort en 2004, était un prêtre salésien de Don Bosco. Ancien professeur de théologie morale à l’Institut Catholique de Paris et conférencier, il est également l’auteur de nombreux livres balayant divers sujets autour de la spiritualité et des questions morales. Il s’est d’ailleurs illustré par de nombreux ouvrages au sujet de l’éthique et de la souffrance, ainsi que sur des sujets plus sensibles comme l’homosexualité chez les chrétiens.

L’ouvrage que j’ai choisi de lire se veut être, quant à lui, la réécriture de contenus issus de conférences dispensées à une grande variété de publics : du laïc engagé au prêtre, en passant par les assemblées paroissiales et les conseillères conjugales. Ces conférences ont alors été restituées sous la forme de quatre textes : souffrance, bonheur, pardon, éthique. Xavier Thévenot aborde ces sujets avec beaucoup de bienveillance, plus particulièrement quand il aborde la question de la souffrance, sujet sur lequel nous avons certainement tous quelque chose à dire. L’emploi quasi continu de la première personne du singulier (« je n’arrive pas à penser que telle épreuve profondément mutilante que je vis me soit envoyée par Lui », page 14), par exemple, permet d’adoucir le ton en évitant au lecteur l’impression qu’il est pointé du doigt. Ce procédé facilite alors l’appropriation du sujet en plaçant le lecteur comme un observateur de ce que l’auteur présente et qu’il peut ensuite transposer à lui-même s’il le souhaite. J’ai également vu de temps à autre une légère tendance à tenter subtilement de piquer gentiment la zone de confort du lecteur (« retrouvant en quelques sortes les réflexes de mes bouderies infantiles », page 14), pour forcer l’intérêt du lecteur et entraîner sa réflexion.

À chaque chapitre, l’auteur aborde alors un nouveau sujet en partant de lui ou du lecteur et amenant petit à petit les choses avec un regard chrétien, en décentrant sa réflexion de la personne pour l’amener vers Dieu. Il illustre parfois son propos d’exemples tels qu’on pourrait les rencontrer dans la vie de tous les jours (« Pensons aux préludes sexuels et à l’orgasme réussi pour illustrer ce dynamisme intérieur du plaisir », page 63), pour toujours ensuite amener le lecteur à faire évoluer son prisme de réflexion avec un exemple biblique (« D’ailleurs, à regarder de plus près les versets où Jésus parle », page 68).

L’ensemble de l’ouvrage met ainsi en lumière le cheminement de pensée de l’auteur, facilement transposable au nôtre, en gardant des mots simples et en nous amenant à nous décentrer de nous-mêmes pour regarder le sujet avec un regard chrétien. Tout en restant dans ce schéma de fonctionnement, Xavier Thévenot va plus loin en apportant aussi des arguments de sociologie (« Toute société qui s’engagerait dans une privatisation du droit de tuer irait vers une anarchie profonde et installerait ses membres dans le mal de vivre », page 79) et de psychologie (« les interdits pointent en nous les désirs les plus pervers et ont ainsi une certaine fonction de dévoilement », page 78) afin d’étayer notre réflexion. Car c’est bien pour nous faire réfléchir d’abord, nous lecteurs, que l’auteur semble avoir écrit cet ouvrage dans la forme qui est la sienne.

Le pardon

Ou plus précisément « Culpabilité, sens du péché, sens du pardon ». C’est sur ce chapitre que je me suis le plus focalisé, tout simplement parce qu’au moment de ma lecture, c’est celui qui a eu le plus de sens par rapport à ce que je vivais à ce moment. Si l’ensemble du livre m’a fait forte impression, ce chapitre a, quant à lui, eu un écho tout particulier en m’apportant davantage matière à réflexion que le reste du livre. Je reviendrai à la fin sur cet écho.

L’auteur commence ce chapitre par une évidence qui soulève pourtant un paradoxe (d’un point de vue chrétien) : « pour avoir envie de demander pardon il faut d’abord se sentir coupable » (page 92). Et pourtant, on aura probablement l’occasion d’y revenir, cette affirmation pose question puisque le pardon c’est aussi accepter de remettre à Dieu ce sentiment de culpabilité. L’auteur a aussi une approche anthropologique et psychologique du sujet, en rappelant que la culpabilité est également un vecteur de nombreux travers, bien qu’il ne l’exprime pas en ces termes, avec lesquels l’être humain trouve souvent non pas un moyen de faire preuve d’humilité, mais au contraire de narcissisme.

Avant d’aller dans le vif du sujet, Xavier Thévenot nous rappelle la définition du sentiment de culpabilité. Tout d’abord, dans cette définition, une vision du mot remord, qui n’est autre qu’une « re-morsure », telle une automutilation du psychisme. Touchant à la fois à notre dimension agressive et à la fois à l’estime que nous pouvons avoir de nous-mêmes. C’est là, entre ces deux dimensions, que l’esprit humain cherche à mettre en place inconsciemment des stratagèmes pour tenter de se sortir de cette torture psychologique sans fin.

L’auteur fait ensuite un rapide tour d’horizon des stratégies de déni que nous pouvons inconsciemment mettre en place. Il y explique point par point les nombreuses façons que notre subconscient a pour nous faire nous complaire dans notre erreur, derrière une démarche qui pourrait finalement s’avérer inconsciemment hypocrite. Ces façons que nous avons de nous déculpabiliser sont une résistance à la reconnaissance du péché. A contrario, notre psyché peut parfois nous emmener dans une stratégie d’exagération de la faute qui est un travers narcissique. En effet, « la personne en vient alors se reconnaître pécheresse dans tel ou tel domaine alors qu’en réalité elle est marquée par des limites » (page 97). Il y a donc lieu d’analyser son acte et reconnaître ses limites. Car ne pas reconnaître ses limites, sa finitude, c’est donc inconsciemment penser que l’on peut se passer de Dieu pour devenir meilleur. C’est donc synonyme de ne pas s’en remettre pleinement à lui au sujet d’un problème que nous vivons, ce qui est très grave.

Il y a un autre élément qui m’a marqué, c’est la distinction qui est faite entre ce qui est excusable et ce qui est pardonnable. L’auteur nous explique que « le geste du pardon n’est pas à confondre avec le don de l’excuse » (page 100). Cet élément nous rappelle à l’ordre sur le sens profond des mots et la nuance que leur apporte la subtilité. Ainsi nous est-il expliqué que « tout est pardonnable alors que tout n’est pas excusable » (page 101). Le pardon vient de la personne lésée et est présenté comme le don d’avenir que celle-ci offre à celui qui a péché, que ce dernier ait ou non présenté des excuses. À l’inverse, le fait d’excuser tient compte des circonstances et des conditionnements de celui qui a commis une offense. L’auteur explique la chose suivante avec une grande beauté : le pardon est donc un don gratuit qui prend acte de la capacité de l’homme à être libre de ses actes, à justement ne pas être une marionnette soumise et donc conscient du geste qu’il a porté à l’encontre de l’autre. Ainsi est-il lucidement accusateur, mais aussi libérateur puisqu’il reconnaît à l’autre sa dignité humaine et dans ses particularités de vie que sont les circonstances et le conditionnement. C’est donc une promesse d’avenir à demeurer une personne libre et consciente, mais aussi à devenir une personne meilleure puisque l’on n’enferme pas l’autre dans sa faute. L’auteur pose parfaitement les mots pour exprimer les choses : « Être pardonné, c’est faire la découverte proprement bouleversante qu’à l’instant même où la prise de conscience du péché invite à ne plus croire en soi-même, Dieu, Lui, a toujours foi en un avenir nouveau du pécheur » (page 102). Si ce n’est pas une preuve d’amour, ça !

Touché par la grâce

Je vois depuis peu une psychologue spécialiste des hauts potentiels intellectuels. C’est une démarche que j’ai initiée voilà quelques mois, suite au résultat du fameux diagnostic mentionné au tout début de cet article. On sait pourquoi on entre chez un psy, on ne sait pas ce qu’on va y trouver et encore moins avec quoi on en sort ! Pour ma part, la lecture de ce chapitre a coïncidé (Dieu est grand !) avec la compréhension de souffrances vécues durant l’enfance et l’adolescence, dont j’ignorai l’existence pour certaines d’entre-elles ! Comme je l’ai dit à ma psy un jour : « sur ce point là, c’est un tas de merde que vous avez poussé ». Le correcteur me « pardonnera » mon vocabulaire, bien que je n’ai aucune « excuse » (trololo). Comment ces souffrances m’ont-elles été transmises ? Par qui ? Pourquoi ? Toutes ces questions m’ont amené à poser des mots, mais aussi des noms et parfois même le mien.

Quelle meilleure réponse apporter à ce que j’ai compris, sinon celle du pardon ? Ce livre m’a aidé à comprendre qu’aucune ne saurait être meilleure, car pardonner à d’autres comme se pardonner à soi, avant d’accorder la paix à l’autre, c’est d’abord se l’accorder à soi-même. J’oserai même dire qu’il s’agit d’une belle illustration de l’adage « Charité bien ordonnée commence par soi-même ». Car c’est bien faire acte de charité envers soi que de se permettre d’avancer et de tourner la page.

À l’instar de la démarche qui nous pousse à rechercher le pardon et peut dissimuler ce mauvais jeu de re-morsure, hésiter à pardonner, je le crois, provoque un effet bien pire en nous faisant ruminer, mordre. Et ainsi nourrir une violence qui ne nous laisse, par définition, pas en paix, qui nous dévore… Si seul Dieu peut pardonner le péché, nous sommes invités à pardonner à l’autre son offense à notre encontre d’une part en tant que chrétien, parce que nous croyons en la dignité de l’autre, au salut que Dieu lui a promis à lui aussi et donc à l’amour qu’Il lui porte autant qu’à nous. Mais aussi parce que pardonner, c’est accepter que le Christ nous restaure, en nous faisant dire à l’autre : « Je décide de ne plus souffrir de l’offense que tu m’as faite, je décide d’avancer et je te souhaite de ne plus souffrir et d’avancer également, donc d’être meilleur ». Pas facile. Mais d’un être à un autre, le pardon est alors non seulement une promesse d’avenir pour celui qui le reçoit, mais encore plus pour celui qui le donne.

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René DROUIN

Auteur d'anticipation, blogueur et créatif touche-à-tout, catho tradi, entrepreneur, THPI. Chasseur de woke et de droitard formolé à mes heures perdues. Mi-ours, mi-panda et re-mi-ours derrière.

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